Thierry Darrimajou : "On a fait trop de cadeaux aux assureurs"

Thierry Darrimajou au Congrès du Modef des Landes en 2024.

Thierry Darrimajou : "On a fait trop de cadeaux aux assureurs"

Thierry Darrimajou : "On a fait trop de cadeaux aux assureurs"

Le Domaine du Berdet, situé à Bourdalat et dans ses environs, a une nouvelle fois été durement touché par les intempéries ce printemps. Ancien expert assurance, Thierry Darrimajou évoque la fragilité du système et la situation très préoccupante de la filière viticole face aux aléas climatiques.

Quelle est la situation chez toi, au Domaine du Berdet ?

Lundi 19 mai au soir, on a essuyé un gros orage de grêle : sur le Domaine du Berdet, 35 mm sont tombés mais avec très peu de grêle ; sur d’autres parcelles à 1,5 km de là en direction de Bourdalat, une partie du vignoble a été détruite à 50 % ; et sur le village, j’estime à 70-80 % de destruction. J’ai des vignes sur un périmètre de 20 km entre Monlezun-d’Armagnac, Toujouse, Montaigut, Bourdalat, Perquie, un peu Hontanx, et les vignes les plus grêlées se trouvent à Bourdalat et à Toujouse. Au total, 35 ha sont touchés sur les 60 du Domaine.

A combien estimes-tu les pertes ?

Avec 35 hectares touchés, si je compte les produits de traitement, le travail à refaire sur les vignes qui avaient déjà été relevées, les traitements pour cicatriser et avoir du bois, la perte de raisins… Tout cela est estimé à 120 000 euros. La grêle m’impacte sur la récolte à venir et celle de la saison prochaine. On a aussi eu des masses d’eau, avec plus de 60 mm par endroits qui ont entraîné des ravinements, des trous de plus d’un mètre dans les vignes donc il faut refaire de l’enrochement, faire venir des pierres de carrières, programmer des travaux de mini-pelle et de tracteurs à godets dans les vignes, sans parler des fossés enlisés, cela demande beaucoup de temps et d’argent. J’estime ces réparations à 40 000 euros. Enfin j’ai perdu 60 hectares de foins, couchés et roulés dans la boue, sur les 80 hectares mis en culture. C’est énorme.

Quels mécanismes assurantiels vas-tu activer ?

Je ne suis plus assuré depuis deux ans. Mes 40 hectares de Baco destinés aux Armagnacs millésimés sont répartis sur plusieurs communes dans un rayon de 17 km et aucune compagnie ne voulait m’assurer à la parcelle. J’ai été assuré à l’appellation en 2022 et 2023, j’ai été grêlé, l’expert passait simplement constater l’effet de la grêle sans regarder le montant d’expertise. Sorti de la franchise de 20 %, je ne touchais rien, malgré de fortes cotisations. Pour moi, cela n’est pas intéressant. Avant, on payait une cotisation, l’expert passait, on payait un montant à la parcelle, s’il fallait refaire une visite avant récolte on la faisait, on mettait un taux et on réglait la parcelle. C’était le plus juste. Je ne comprends pas que le système assurantiel ne revienne pas à la parcelle.

 

« La moitié des domaines français sont en vente, soit parce que les viticulteurs arrivent en fin de carrière, soit parce qu’ils sont dégoûtés, soit parce qu’ils ne peuvent plus continuer car ils sont endettés et que les banques ne veulent plus les suivre »

 

Comment en est-on arrivés à ce système ?

C’est un choix politique, un accord entre le gouvernement et les assurances lorqu’il y a eu la réforme de l’assurance obligatoire. L’assurance à la parcelle était le plus simple, le plus transparent et le plus juste. Le seul inconvénient, c’était le travail de fond des experts qui devaient faire deux ou trois visites : ça coûtait trop cher, ça grignotait les marges. Donc ils ont préféré assurer à l’appellation et se baser sur l’Adoc, la déclaration de récolte qu’on dépose aux douanes en novembre. On n’a plus besoin d’experts, juste d’une personne qui vient constater que la parcelle est grêlée, fait un rapport, et voilà. On a voulu simplifier au détriment de la viticulture. J’ai été longtemps expert de compagnie, aujourd’hui je ne le suis plus donc je peux me permettre de le dire : on a fait beaucoup de cadeaux aux assureurs.

Pourquoi l’assurance à l’appellation est-elle moins favorable ?

La subvention est calculée sur la moyenne des rendements des cinq dernières années, en excluant la valeur la plus élevée et la plus faible. Avec les aléas de ces dernières années, les excès d’eau, la grêle, les coups de vent, les gels à répétition, la mauvaise fécondation, les excès de température avec des successions de journées à plus de 40 degrés, nos rendements dégringolent et notre moyenne olympique s’est fortement dégradée. Une appellation Côte de Gascogne en blanc par exemple, n’a plus qu’une moyenne entre 65-70 %, si derrière on sort 20 % de franchise, cela revient à payer des cotisations pour presque rien. Le viticulteur qui continue de faire tout le nécessaire, qu’il soit en bio ou en conventionnel, le travail de traitement, les apports organiques, chimiques, minéraux, la fertilisation, s’il fait tout cela mais qu’il est toujours sanctionné par sa moyenne olympique, ce n’est pas tenable. C’est ce que nos instances ne veulent pas comprendre, même si on fait remonter ce problème par l’interprofession. On est au pied du mur et ça crée un blocage.

Comment vois-tu l’avenir ?

On ne le croyait pas il y a dix ans mais aujourd’hui, on a tellement pioché dans les réserves que la moitié des domaines français sont en vente, soit parce que les viticulteurs arrivent en fin de carrière, soit parce qu’ils sont dégoûtés, soit parce qu’ils ne peuvent plus continuer car ils sont endettés et que les banques ne veulent plus les suivre. Les fonds d’urgence, ce n’est pas rien mais les trous sont tellement énormes dans les trésoreries… Notre viticulture court à la catastrophe.