Il y a quelques semaines à la Chambre d’agriculture, vous avez plaidé pour en finir avec une vision purement quantitative des droits d’eau et pour une modélisation. Qu’entendiez-vous par là ?
C’est vrai qu’il y a, depuis plusieurs années, une approche purement quantitative du problème, qui d’ailleurs n’est pas propre à Irrigadour. La tradition s’appuie sur la défense de volumes autorisés sur les bassins de l’Adour, volumes qui ne sont que théoriques, basés notamment sur la création de ressources depuis 20 ou 30 ans et qui n’ont pas été réalisées pour la plupart. Ainsi on parle de prélever 210 Mm3 sur les cours d’eau et nappes connectées, alors que la réalité des besoins est plutôt entre 150 et 160 Mm3. Tant que le combat du quantitatif n’était pas perdu, on pouvait difficilement refuser de le porter car ce discours était défendu par une bonne partie des irrigants. Mais dans un schéma de raison, de responsabilité et de remise en question systématique de nos AUP et arrêtés, il faut essayer de bâtir un nouveau modèle qui assure la pérennisation de l’activité agricole.
Quel genre de modèle ?
Je veux un modèle pérenne qui soit en phase avec la réalité des investissements agricoles et qui sécurise les volumes réels sur 10 ou 15 ans, puisque les AUP peuvent être de cette durée ; un modèle qui intègre les projets de territoire comme les stratégies de REUT, la création de petites ressources collinaires, un modèle qui sécurise autant les volumes que la qualité des eaux et qui assure une équité territoriale : il faut faire en sorte qu’on ait de l’eau là où on en a besoin, tout en soutenant l’agriculture non-irriguée et les changements de pratique.
Est-ce remettre en question les droits familiaux ?
Il ne faut pas renoncer aux droits familiaux mais il faut travailler à une nouvelle répartition selon les disponibilités, lorsque les gens ne les utilisent pas par exemple. C’est vrai que quelques personnes ont beaucoup de droits d’eau et d’autres regardent passer les trains. Or ce n’est pas un droit génétique. Il faut qu’on parvienne à faciliter l’installation de jeunes agriculteurs, à soutenir les nouveaux modèles que sont le bio, les cultures à haute valeur ajoutée, les cultures expérimentales, en redistribuant une partie des droits. Nous sommes sur un modèle éculé, qui a été très rentable mais qui va l’être d’autant moins. Mon boulot d’élu, c’est de dire qu’il faut changer de direction quand on se trompe collectivement. Je suis là pour aider à sécuriser des volumes mais est-ce qu’il faut s’arc-bouter sur 210 Mm3 ou travailler raisonnement sur 170-180 ? Au bout d’un moment, il faut être raisonnable et penser ce qui est le mieux pour le territoire. Cela ne se décrète pas, c’est un travail sur plusieurs années.
Dans votre intervention, vous sembliez également déplorer l’approche des services de l’Etat. Qu’en est-il ?
Aujourd’hui, les services de l’Etat ne sont même pas en capacité de se coordonner : on n’a pas de lecture commune entre la Dreal, les DDTM et les préfectures. J’ai demandé à avoir une réunion partagée avec l’ensemble de ces services pour essayer de comprendre de manière définitive ce qu’ils attendent de nous en matière d’AUP. Les uns me disent qu’une étude d’impact n’est pas nécessaire alors que je sais que sans ça, nous serons attaqués légitimement au tribunal administratif. D’autres services veulent avoir une réponse dans trois mois pour classer le dossier. Moi, dans l’AUP, je veux une étude d’impact et le résultat en volumes consolidés des PTGE, pour disposer de chiffres qui correspondent à la réalité des besoins des agriculteurs sur les 30 prochaines années. Ça se travaille en un an et demi deux ans et avec 3 à 400 000 euros de budget d’études supplémentaires.
Quel est le calendrier d’Irrigadour ?
D’abord, nous allons apporter une réponse transitoire pour l’AUP de novembre, en demandant les volumes pour 2025, qui seront accordés par arrêté. On va proposer des volumes, en parler aux services de l’Etat puis revenir vers les représentants agricoles. Il est temps d’arrêter de perdre des procès et pour cela, il faut avoir une position sérieuse et documentée. C’est pourquoi j’espère, pour 2027, faire une proposition d’AUP de 10 à 15 ans qui corresponde à la réalité de la ressource et des besoins, qui soit la plus étayée possible et qui soit partagée par les irrigants. Elle sera peut-être attaquée mais elle sera moins friable parce que portée collectivement, avec une légitimité politique et scientifique. Il y aura donc un gros travail technique, validé par le BRGM. Les études d’impact prennent 12 à 18 mois. Nous allons discuter avec plusieurs candidats pour construire avec eux ce projet et consolider le financement avec les services de l’Etat. Jusqu’à présent, nous avions des délais tellement courts et des contraintes tellement fortes qu’aucun bureau d’étude ne voulait travailler avec nous. Si on y arrive, les irrigants pourront s’engager sur 10 à 15 ans dans quelque chose de cadré. Si on n’y arrive pas, ça veut dire que le modèle de l’organisme unique est mort. C’est pourquoi dans le même temps, je veux demander avec d’autres OUGC à rencontrer le ministre de l’Agriculture pour discuter avec lui de ce modèle.
Votre vision est-elle partagée au sein d’Irrigadour ?
J’ai le quitus pour rencontrer les services de l’Etat, pour porter la discussion avec les autres OUGC et le ministère, et pour préparer le pré-projet d’AUP. C’est moi qui commande, je suis président, mais je vais demander à mes collègues d’Irrigadour de valider les volumes et la dialectique de présentation de la demande. On est dans une situation où il va falloir faire avancer les extrêmes, d’un côté comme de l’autre, à l’acceptation de ce modèle. Je ne suis pas pour la décroissance mais je ne suis pas non plus pour la sur-croissance. Dans une période de raréfaction de l’eau et des finances, il va falloir trouver un équilibre économique et écologique qui corresponde aux attentes des uns et à l’acceptation philosophique des autres. Je le fais très démocratiquement. Si après ce travail on me dit « non, on ne fait pas comme ça », je m’autoriserai à réfléchir à mon avenir à la tête d’Irrigadour.
AUP : autorisation unique de prélèvement : il s’agit de la demande collective de prélèvement formulée par l’OUGC (Organisme unique de gestion collective), en l’occurrence Irrigadour.
BRGM : Bureau de Recherches Géologiques et Minières), service géologique national français qui surveille notamment l’état des nappes et cours d’eau.
REUT : réutilisation des eaux usées traitées.
PTGE : projet de territoire pour la gestion de l’eau.