Quel bilan fais-tu de cet été très particulier ?
Ce fut dur physiquement, au niveau du rythme, en plus du stress. Avant on pouvait s’accorder un peu de répit quand il y avait un orage mais là, on a enchaîné sans cesse pour l’irrigation, c’était une boucle infernale.
Quel est l’état des cultures à la fin de la saison ?
Sur les céréales, il y aura de grosses disparités de rendement. Même sur les cultures irriguées, les zones faibles que l’on arrive à tenir en général ont beaucoup souffert cette année. Certains irrigants auront de bons rendements ici et là mais ce sera limité. On sent bien la fragilité de certaines parcelles dans ces conditions. Pour tout ce qui est non-irrigué, la situation est catastrophique, que ce soit le soja, le tournesol… Le maïs, n’en parlons pas… Le pollen a cramé sur certaines parcelles de maïs semences, les feuilles ont brûlé sur le conso. Non seulement il n’y a pas de rendement, mais il n’y a pas non plus les prix. On est à 180 euros la tonne ! En Suisse, où l’Alpad était en voyage fin août, c’est 400 euros. Car il y a un mécanisme d’encadrement des prix agricoles. Cela nous questionne sur ce que nous, Européens, faisons en nous soumettant aux marchés mondiaux, alors que les règles du jeu sont totalement distordues.
Et sur la partie maraîchage ?
C’est très compliqué à maîtriser : en bio, sous serre, plus tu arroses et plus tu as de l’herbe, ce qui génère un surcroît de travail. Les températures élevées sur des cycles longs entraînent une perte de rendement immédiat avec des fleurs qui tombent, des brûlures, comme pour les céréales. Sans parler des épisodes de grêle qui entraînent des disparités sur le haricot, des plantes stressées qui n’ont pas fait de fleur ou à retardement à la chaleur...
Quelles leçons en tires-tu pour l’avenir ?
Comment réduire ma dépendance par rapport à la ressource, quelles décisions prendre selon mes productions, quel équilibre entre les légumes et les grandes cultures ? Ces questions m’ont agité tout l’été. J’ai mis en place des cultures d’hiver pour être moins dépendante mais ces choix ne sont pas rémunérateurs. Donc, quels arbitrages faire demain, individuellement et surtout collectivement ? Entre ceux qui ont conscience du problème et essaient de s’adapter et ceux qui s’en foutent, qui ont des contrats et qui continuent à balancer de l’eau comme ils le souhaitent. On n’échappera pas à ce débat.
Que penses-tu de la position d’Irrigadour de ne pas appliquer le plan de répartition du Préfet de Bassin ?
Déjà, l’arrêté est sorti au mois de juillet alors qu’on avait déjà consommé plus de la moitié des quotas d’irrigation. C’est ridicule et cela démontre bien la déconnexion de l’Etat. On dirait qu’il cherche le bâton pour se faire battre et alimenter la colère. Donc je suis entièrement d’accord avec la position d’Irrigadour. On a rencontré le président d’Irrigadour à la fin de l’été pour faire un point et connaître sa stratégie. Je voudrais surtout entendre les arguments du Préfet de Bassin pour avoir refusé la baisse de 6% proposée par Irrigadour, qui me semblait être une solution équitable. Le problème reste entier.
La CR réclame le statut de calamité agricole suite à la sécheresse. Qu’en penses-tu ?
Bien sûr qu’il faut aider les non-assurés, mais la question est bien plus vaste. Depuis la réforme du régime assurantiel, on ne peut plus dissocier le maïs irrigué du non-irrigué. Quand tu souffres de la sécheresse sur plusieurs années, le rendement baisse et avec lui ta moyenne historique. Les viticulteurs le savent bien, eux qui en sont arrivés au point où cela ne sert plus à rien de s’assurer. On peut demander le statut de calamité agricole mais dans un contexte de multiplication des crises climatiques, c’est tout le système qu’il faut revoir. Et puis il y a une incohérence de la part de la CR : si on veut que l’Etat puisse assumer ce statut de calamité, il faut mettre des cotisations en face, ce dont ils ne veulent pas entendre parler. L’autre solution c’est la loi du plus fort avec d’un côté ceux qui ont les moyens de s’assurer, et les autres qui se débrouillent. On ne peut pas défendre les deux modèles.
Quels autres sujets ont retenu ton attention cet été ?
En ce qui concerne l’élevage, les cours de la viande remontent fortement ce qui est une bonne nouvelle, même s’il faut se méfier du retour de bâton. Les éleveurs sont récompensés à leur juste valeur mais il faut que cela dure. La question qui se pose, c’est comment relancer la production pour profiter de ces bonnes conditions, après des années de décapitalisation. Un cultivateur peut augmenter ses surfaces mais un éleveur ne peut pas doubler la taille de son troupeau du jour au lendemain ! Par ailleurs l’installation est très compliquée, surtout hors cadre familial. Or l’accompagnement n’est pas à la hauteur de cette urgence. Il faut se saisir de cette question de l’installation, tout en luttant pour le maintien des prix par la valorisation de nos productions ou par la négociation de prix garantis au sein des filières. Ce sont les deux conditions pour profiter du contexte pour relancer notre élevage.
Et du côté de la volaille et des palmipèdes ?
Le grand sujet de l’automne sera la prise en charge du coût de la vaccination pour les éleveurs de canards. Encore une fois, après les annonces, on voit que ce sont les éleveurs qui vont supporter le coût du vaccin. C’était prévisible malheureusement. Quant à la volaille, je vois qu’on essaie de relancer une production qu’on a détruite ces dernières années. Cela aussi, c’était prévisible…
Au final, le tableau est plutôt sombre…
Les trésoreries souffrent, c’est certain. J’ai noté beaucoup d’incertitude et d’inquiétude chez les collègues que j’ai croisés cet été. Maintenant le mal est fait, il faut attendre les récoltes. Toutefois, je note que les bovins repartent à la hausse, que la demande est soutenue en canards et volailles. Pour beaucoup, cela va permettre de compenser les pertes sur les récoltes. L’élevage va porter les fermes cette année. Cela démontre toute la pertinence de notre modèle traditionnel de polyculture-élevage. Dans un monde qui nous pousse vers la spécialisation et l’uniformisation, celui-ci a tout son sens, il doit être préservé et soutenu.