On peut juger démesurés les objectifs de l'Etat et du comité de bassin Adour-Garonne sur la baisse des prélèvements, contester les mesures d'évaluation de la ressource, invoquer la pluviométrie ou encore pester contre la justice et les associations environnementales qui font valoir le Droit… Mais on ne peut passer sous silence la gestion du dossier par Irrigadour et les services de l'Etat. Retour sur trois ans d'errements et d'entêtement.
Le déni de l'eau
Désigné Organisme unique de gestion collective (OUGC) du sous-bassin de l'Adour en juillet 2013, Irrigadour obtient sa première Autorisation unique pluriannuelle (AUP) en août 2017 pour une durée de 5 à 15 ans selon les périmètres. L'arrêté interpréfectoral validant l'AUP fixe alors des volumes de prélèvements d’eau de 214,84 Mm3 pour les cours d’eau et nappes d’accompagnement, de 9,93 Mm3 pour les nappes souterraines déconnectées et de 53,25 Mm3 pour les retenues déconnectées.
Le 3 février 2021, cet arrêté est annulé par un jugement du tribunal de Pau, saisi par des associations environnementales (FNE Midi-Pyrénées et 65, Amis de la Terre 32 et Sepanso 40). Le tribunal motive cette annulation par les insuffisances du dossier de demande d'AUP, notamment "des volumes sollicités injustifiés par rapport aux besoins des irrigants", une mauvaise évaluation des incidences des prélèvements sur les milieux naturels ou encore le non-respect des objectifs de non-détérioration des masses d'eau fixés par le Comité de bassin à travers le SDAGE (Schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux). Des écueils déjà pointés du doigt lors de l'instruction de l'AUP par l'Office français de la biodiversité et l'Autorité environnementale, deux organismes d'Etat.
En décembre 2021, la Cour administrative d’appel de Bordeaux confirme ce jugement en raison du non-respect des volumes notifiés par l’État (35% de dépassement), de manque de justification des besoins exprimés, de la non-réalisation des retenues prévues qui auraient pu participer au bon état de la ressource, ou encore de l’absence de preuve du retour à l’équilibre des masses d’eau. Depuis cette date, les irrigants du bassin de l'Adour ne disposent plus d'autorisation unique pluriannuelle et vivent sous régime dérogatoire.
Avis défavorable et mise en demeure
Le 30 mai 2022, la préfète des Landes met en demeure Irrigadour de déposer une demande d’AUP avant le 31 août, afin que l’autorisation puisse être délivrée avant le 31 mai 2023 et que l’on dispose d’un cadre réglementaire pour la campagne d’irrigation 2023. Déposée hors délai, le 29 septembre 2022, la nouvelle demande d'AUP comporte de nombreuses lacunes relevés par les services de l'Etat. A commencer par un volume demandé largement supérieur au volume notifié par la préfète des Landes (213 Mm3 dans les cours d’eaux et les nappes d’accompagnement, 9,9 Mm3 dans les nappes déconnectées et 56,4 Mm3 dans les retenues), auquel s'ajoutent des erreurs de méthodologie, des manques dans l'étude d'impact et toujours un non-respect des objectifs du SDAGE.
Le 9 février 2023, l'Autorité environnementale donne donc un avis défavorable à cette demande d'AUP, estimant que "le dossier devrait être entièrement revu en conformité avec la réglementation, tant en ce qui concerne la demande d’AUP qu'en matière d'évaluation environnementale".
Depuis 2021, les irrigants du bassin de l'Adour ne disposent plus d'autorisation unique pluriannuelle et vivent sous régime dérogatoire
A la suite de cet avis, Irrigadour retire sa demande d'AUP le 29 mars 2023 et reçoit un rapport de manquement administratif de la part de la DDTM le 28 avril. Le 1er juin 2023 et comme l'année précédente, la préfète des Landes, par arrêté, met en demeure Irrigadour de produire une nouvelle AUP avant le 31 octobre. En l'absence d'AUP, elle prend des mesures conservatoires pour une durée d'un an, fixant les volumes et conditions de prélèvements. Or le 30 octobre, à un jour de la date butoir, "considérant qu'Irrigadour n'est pas en mesure de déposer au plus tard le 31 octobre 2023 un dossier de demande d'AUP conforme au code de l'environnement", un nouvel arrêté accorde un délai supplémentaire à l'OUGC jusqu'au 31 mars 2024.
Vide règlementaire
A la date indiquée, toujours rien : nouveau rapport de manquement administratif de la DDTM mais surtout, à compter du 1er juin 2024, date de la fin des mesures conservatoires prises un an plus tôt, les prélèvements d'eau sur le périmètre d'Irrigadour ne sont plus encadrés règlementairement, ni par une AUP ni par un arrêté !
Une aubaine pour les associations qui, elles, suivent de près le dossier. Elles saisissent le 15 juillet dernier le pôle régional en charge des atteintes environnementales (PRE) du parquet de Bayonne. Le lendemain, est publié l'arrêté interpréfectoral fixant les autorisations de prélèvement du 1er juin 2024 au 31 mai 2025, avec un mois et demi de retard !
Il fixe les volumes prélevables à 202,91 Mm3 pour les cours d’eau et nappes d’accompagnement, 9,86 Mm3 pour les nappes déconnectées et 51,25 Mm3 pour les retenues.
Pas pour longtemps : c'est cet arrêté que le tribunal de Pau a suspendu le 2 août dernier, jugeant ces volumes trop proches de ceux du précédent arrêté et trop éloignés de la trajectoire de retour à l'équilibre fixée par le Comité de Bassin, qui vise 180 Mm3 pour les cours d'eau et nappes déconnectées en 2027…
Voici comment après trois ans d'entêtement, deux AUP jugées non-conformes, deux arrêtés suspendus, un autre oublié en route, deux rapports de manquement administratif et deux mises en demeure, les irrigants du sous-bassin de l'Adour se retrouvent privés d'un quart de leurs droits d'eau et dans l'incertitude la plus totale pour l'avenir.
Pour aller plus loin : https://www.modef40.fr/notre-actu/le-fil-infos/paul-carrere-irrigadour-il-est-temps-d-arreter-de-perdre-des-proces