Faisons vivre le mouvement paysan !

Faisons vivre le mouvement paysan !

Faisons vivre le mouvement paysan !

Discours de la présidente Mélanie Martin à l'occasion du 82e Congrès du Modef des Landes le 8 mars 2024 à Gamarde-les-Bains

Au cours des derniers mois, la profession agricole a exprimé une colère légitime. Les mobilisations qui ont eu lieu dans toute la France et même partout en Europe, ont eu le mérite de remettre la question agricole au centre du débat politique et médiatique. Les citoyens ont pris conscience du mal-être de notre profession et ont exprimé, dans une large majorité, leur soutien à ce mouvement. 

Toutefois, en tant que militants syndicaux, nous devons être lucides sur les causes et plus encore sur les conséquences de cette colère : dès les premières manifestations, nous avons alerté sur le fait que notre profession n'avait rien à espérer du dialogue exclusif entre l'Etat et le syndicat majoritaire. C'est cette cogestion, entre rapport de force et connivence, qui depuis plusieurs décennies précipite notre profession dans la situation où elle se trouve aujourd'hui : 26% des agriculteurs vivent sous le seuil de pauvreté. Un quart gagne moins de 600 euros par mois. De 1,6 million en 1970, nous n'étions plus que 389 000 lors du dernier recensement agricole en 2020. Ces dix dernières années, 100 000 fermes ont disparu en France. Le revenu agricole devrait à nouveau baisser de 9% en moyenne cette année selon l’Insee. Pire encore, 500 de nos camarades agriculteurs se suicident chaque année dans notre pays.

Ce bilan désastreux est celui des choix politiques effectués main dans la main par l'Etat et la FNSEA depuis plusieurs décennies : libre-échange débridé, course au gigantisme et à l'uniformisation, fléchage des financements et subventions vers les modèles les moins rémunérateurs, transfert de la valeur ajoutée vers les secteurs de l'aval… Par sa position dominante dans les Chambres d'agriculture, dans les conseils d'administration des coopératives et des organisations de producteurs, la FNSEA porte une lourde responsabilité dans la situation actuelle de notre profession. Pour autant, elle continue à confisquer la parole des agriculteurs au niveau national dans les négociations avec l'Etat, comme au niveau local dans les échanges avec la Préfecture et les services décentralisés, comme j'ai pu le constater à mes dépens ces dernières semaines. 

Le revenu, grand oublié

Après plusieurs semaines d'une mobilisation générale inédite, marquées par un drame en Ariège, des arrestations, des sacrifices de la part de toute la profession et un soutien populaire sans précédent, la mise en garde que nous exprimions au début du mouvement a pris tout son sens : rien, absolument rien, n'a été obtenu par les représentants de la FNSEA et des JA en faveur du revenu des agriculteurs et du partage de la valeur ajoutée. C'est pourtant la mère de toutes les batailles, celle qui devrait être un préalable à toute négociation. En utilisant la colère des agriculteurs pour sauver les intérêts de l'agro-industrie, les représentants nationaux de la FNSEA et des JA se sont rendus coupables d'une énième trahison à l'encontre de notre profession. Les plus modestes d'entre nous, et tous ceux qui ne souhaitent pas participer à cette marche forcée vers l'idustrialisation de notre métier, se trouvent à nouveau livrés à leur sort.

Dans ce contexte, notre syndicat a voulu faire entendre une autre voix. Pendant plusieurs semaines, nous nous sommes mobilisés autour de cette question du revenu agricole, grande absente des débats nationaux : le 27 janvier au marché de Dax à la rencontre des producteurs et consommateurs, le 1er février au soutien des élèves du lycée agricole de Mugron, le 2 février lors de notre manifestation entre Saint-Sever et Mont-de-Marsan, le 10 février avec notre marché sauvage devant le centre Leclerc du Grand Moun, le 17 février devant le centre commercial du Grand Mail ou encore le 21 février avec la visite de Madame la préfète sur la ferme de Laurent Laborde à Carcen-Ponson, sans oublier de nombreuses prises de parole dans les médias locaux et sur les réseaux sociaux. Je remercie chaleureusement tous ceux qui se sont mobilisés au cours de ces actions.

A chaque fois, nous avons fait valoir les véritables revendications des agriculteurs, à commencer par un revenu digne et la possibilité pour chacun de vivre de son travail, quels que soient la taille de son exploitation et son modèle économique. Nous avons formulé des propositions pour y parvenir et mettre un terme à la destruction programmée de notre profession. 

Parmi ces propositions : 

- Recentrer au moins 30% du budget de la Pac sur les 60 premiers hectares afin qu'elle profite à tous : aujourd'hui, 64% du revenu des exploitations agricoles provient de la Pac. Or, 80% des aides reviennent aux 20% des agriculteurs qui possèdent le plus de surface, créant un déséquilibre intenable. Il convient aussi d'apporter une bonification spécifique aux prairies pour soutenir la qualité de l’élevage français en pâturage. Ce sont deux mesures d’urgence qui doivent s’accompagner à plus long terme d’une refonte complète de la politique agricole commune.

- Instaurer des prix planchers pour tous les produits agricoles à la hauteur des prix de revient (coûts et rémunération du travail, incluant les cotisations sociales). A ce sujet, ne soyons pas dupes de la promesse balancée par Emmanuel Macron à l'ouverture du Salon de l'Agriculture. Si nouvelle Loi il y a, il s'agira de la cinquième Loi d'encadrement des prix agricoles depuis son élection en 2017, avec pour l'instant aucun effet notable sur nos revenus. Dans le même temps, il est indispensable de rendre transparentes et d’encadrer les marges de la grande distribution, des transformateurs et de l’agroalimentaire. Ceci doit venir en complément de l'application stricte et d’un renforcement de la loi Egalim, notamment pour mettre fin au rôle de juge et partie des interprofessions dans la négociation des prix avec les OP.

- Préserver le foncier agricole est un prérequis incontournable à la souveraineté alimentaire. Il faut donc engager une politique offensive en sa faveur en stoppant l’artificialisation sous quelque forme que ce soit des terres nourricières et l’accaparement du foncier par des sociétés ou des grands groupes. Il faut également redonner aux CDOA leur rôle de contrôle, notamment par le biais de Schémas directeurs régionaux des exploitations agricoles entièrement révisés pour une meilleure répartition du foncier agricole ; et réimpliquer l’État dans le financement des Safer afin qu’elles aussi reprennent leur rôle de régulateurs du foncier au bénéfice de l’agriculture.

- Adapter les normes sanitaires et administratives à la réalité des fermes : l'avalanche de normes et de contraintes qui déferle sur le monde agricole sert le plus souvent à justifier des dérives productivistes de l'agro-industrie. Les petits paysans, eux, ne devraient pas avoir à se justifier au même degré. Il est impératif d’adapter ces normes sanitaires et administratives à la réalité de notre métier.

L'échec d'un système

Ceci n'est qu'un aperçu des mesures d'urgence à disposition de nos gouvernants. A plus long terme, nous devons dès aujourd'hui amorcer le mouvement de relocalisation de notre agriculture. Les accords de libre-échange signés au niveau européen sapent les fondations de notre agriculture nourricière, en mettant nos paysans en concurrence directe avec des productions moins-disantes sur les plans sanitaire et qualitatif. Cette fuite en avant conduit à la destruction pure et simple de nos savoir-faire, tandis qu'elle enrichit de grands groupes agro-industriels partout dans le monde. 

Pour assumer cette relocalisation, il est urgent que les pouvoirs publics soutiennent la transformation de nos modèles, aussi bien en amont en encourageant l'autonomie protéïque des fermes, qu'en aval en soutenant des débouchés rémunérateurs.

Après plusieurs décennies de libéralisation de l'agriculture, force est de constater que le modèle agro-industriel a conduit notre profession au bord du précipice. Il pousse nombre d’entre nous au surinvestissement et au surendettement ; il est responsable de la création de normes administratives qui s’empilent pour tenter de justifier ses propres dérives et qui représentent pour les fermes plus modestes un poids économique et psychologique insupportable ; il est responsable des plus grandes inégalités et la PAC en est l’illustration la plus frappante ; il compromet l’avenir même de l’agriculture en détruisant les ressources nécessaires aux productions de demain ; il dévitalise nos villages et nos campagnes ; il ne parvient pas à rémunérer dignement les travailleurs de la terre ; pire encore, il se montre incapable d'assumer l'ambition qu'il revendique lui-même en permanence : assurer la souveraineté alimentaire de la population. C'est même tout le contraire qui se produit sous nos yeux : aujourd'hui, un légume ou fruit sur deux consommé en France est importé, un poulet sur deux est également importé. Un comble pour un pays qui de tous temps a bâti sa prospérité sur la qualité de son agriculture !

Changer le rapport de force

Alors oui, il est urgent de changer de modèle et pour cela, nous, agriculteurs, devons faire entendre une autre voix. Si le monde agricole ne parvient pas à sortir de l'ornière où il se trouve, c'est parce que sa parole a été confisquée par les tenants du productivisme et de la mondialisation, qui n'hésitent à faire usage de la violence ou de l'intimidation pour faire taire les contradictions. 

Nous en avons eu un exemple édifiant, il y a quelques semaines, lorsque le président de la FDSEA des Landes a refusé de participer à un temps d'échange organisé par Madame la préfète en présence des représentants du Modef des Landes. Un incident révélateur d'une certaine arrogance, de la part d'un syndicat censé défendre l'unité paysanne et qui refuse de laisser la parole à une représentante élue par un tiers des agriculteurs landais.

Le salut ne viendra pas non plus de la Chambre d'Agriculture, noyautée par ce même syndicat, et qui malgré ses déclarations d'intention ne roule que pour un seul modèle. La gestion des crises dues à l’Influenza aviaire en est un triste exemple. Depuis 2015, l'élevage plein air, qui fait pourtant la réputation de nos filières et de notre département, se voit sacrifié au profit de la logique industrielle portée par les interprofessions, les coopératives, les banques et l’État. Voilà 8 ans que les éleveurs de la région sont poussés à des investissements colossaux pour pouvoir enfermer leurs animaux au prétexte de la lutte contre le virus. Or, ces bâtiments, ainsi que la segmentation des filières, loin de freiner le phénomène, ont participé à la diffusion massive et rapide du virus, avec des animaux incapables de produire une immunité naturelle du fait de leurs conditions d’élevage stressantes et contraires à leurs besoins physiologiques. Chaque année, la crise a été pire que la précédente et chaque année, ceux qui avaient investi dans ces bâtiments comme les irréductibles du plein air ont payé les pots cassés d’une vision monolithique de l’agriculture, incapable de se remettre en question. Lors des débats à la Chambre, nous n'étions que 3 à déplorer cette gestion de crise mortifère et destructrice : les 3 représentantes du Modef et de la Confédération paysanne. Les seuls à penser l’ensemble du système et à défendre tous les éleveurs, quel que soit leur mode d’élevage !

Cette année, le seul levier qui a permis d’éviter une énième épizootie a été la vaccination. Vaccination que seuls le Modef et la Confédération paysanne demandaient depuis le début quand la FNSEA, les Chambres, les interprofessions et les industriels la refusaient fermement au motif que l’exportation primait !

Un choix historique

La crise que traverse le monde agricole a le mérite de clarifier les choses. Nous nous trouvons, agriculteurs, élus, citoyens et consommateurs, face à un choix historique : poursuivre la marche forcée vers l'industrialisation, la mondialisation et la soumission aux puissances financières, avec les conséquences dramatiques que nous constatons pour notre profession ; ou basculer enfin vers un modèle qui permet à tous les modèles de coexister, encourage les plus vertueux, assure aux travailleurs de la terre une rémunération juste et encourage l'installation de nouveaux agriculteurs. Ce choix, vous pourrez l'exprimer en janvier 2025 lors des prochaines élections à la Chambre d'Agriculture. Le temps presse. Nous ne pouvons nous permettre d'attendre encore 6 ans pour accomplir cette révolution que nous savons tous nécessaire. Je serai au rendez-vous, je compte sur vous pour l'être également.

D'ici là, nous resterons mobilisés tout au long de cette année cruciale, administrateurs, salariés, militants, pour faire entendre notre différence. Nous devons aussi garder à l'esprit que la majorité des paysannes et paysans du département n’est pas syndiquée. Nos idées, nos convictions, nos propositions, ne pourront se concrétiser que si nous nous ouvrons à de nouveaux partenaires car vous le savez, nous sommes de moins en moins d’agriculteurs. Nous ne pouvons plus agir seuls dans notre coin. C’est pourquoi, et cette journée en est l'illustration, nous avons décidé de nous ouvrir à des structures, issues du monde agricole ou non, pour recréer du lien entre agriculteurs tout d’abord, mais aussi entre agriculteurs, citoyens et consommateurs, au sein d'un véritable mouvement paysan landais.

Je compte sur vous pour faire vivre ce mouvement paysan ! 

Merci.   

Le 8 mars 2024 à Gamarde-les-Bains