Quel est l’objet de cette commission ?
Elle regroupe des chercheurs, des médecins et professionnels de santé, des instituts de recherche, les partenaires sociaux et les organismes de protection sociale, le tout chapeauté par le ministère de l’Agriculture et présidé par un membre du Conseil d’Etat. Cette commission doit statuer sur l’inscritpion de nouvelles maladies au tableau des maladies professionnelles. Avec l’expertise des uns et des autres, on essaie de faire reconnaître l’imputation de telle posture, telle pratique ou tel produit dans le déclenchement d’une maladie bien identifiée. C’est un débat avant tout juridique. Or toute la diffculté aujourd’hui, dans notre monde où les agriculteurs effectuent des protocoles avec un grand nombre de produits, est de faire reconnaître l’imputation d’une maladie à un produit en particulier.
Quelle voix portez-vous au sein de cette commission ?
Avec la Confédération paysanne, nous avons la volonté de mettre l’accent sur la question des pesticides, même si on essaie régulièrement de nous en éloigner en mettant sur la table les sujets des cancers cutanés liés à l’exposition au soleil ou ceux liés à la silice cristalline, qui sont une réalité mais qui touchent surtout les travailleurs du ciment et de la mine.
Des sujets qui ne remettraient pas en question les modes de production...
Exactement. Donc on subit cette pression et cette tentative de museler les représentants et les partenaires sociaux sur la question du rapport entre la santé au travail et l’exposition des agriculteurs aux toxiques : pesticides, antiparasitaires et autres.
Que veut-on cacher ?
On redoute que le coût caché des maladies professionnelles en agriculture soit révélé. Cela bouleverserait le règlement financier des organismes de protection et remettrait en cause de nombreuses pratiques.
Que sait-on de la sur-représentation de certaines maladies chez les agriculteurs ?
On a des statistiques sur le sujet, notamment grâce à l’étude Agrican proposée par l’Inserm et une douzaine de caisses locales MSA. Elle concerne 180 000 affiliés depuis 2005 et elle a mis en évidence la relation entre l’usage des pesticides et certaines pathologies comme le cancer de la prostate, de la vessie, des lymphomes... Avec toutes les MSA, on aurait pu avoir des analyses plus fines mais beaucoup sont réticentes à donner leurs chiffres.
La commission travaille-t-elle également sur le syndrome d’épuisement, la dépression, le burn-out ? Sont-ils reconnus comme maladie professionnelle en agriculture ?
C’est intéressant car il existe deux tableaux de maladies professionnelles : celui du régime général, qui recense 101 maladies, et celui du régime agricole, où on n’en trouve plus qu’une soixantaine. A croire que les paysans ne sont pas des travailleurs comme les autres ! Ces syndromes de dépression, de mal-être, d’épuisement par exemple, ne sont pas reconnus pour les agriculteurs. On aimerait que les deux commissions soient beaucoup plus en lien, que nos comptes-rendus soient visibles par tout le monde et qu’on monte ensemble en expertise. Mais il y a un lobby fort pour que les deux commissions soient séparées.
Qui exerce ce lobby ?
Lors de la diffusion d’un « Complément d’enquête » l’an dernier, des documents de la commission sont sortis et suite à cela, la FNSEA a sommé le ministère de rappeler à notre commission son obligation de silence. Le ministère a conclu que le règlement intérieur était à revoir pour renforcer la confidentialité. De mon côté, j’ai saisi les autres partenaires sociaux et syndicats de salariés pour faire une contre-proposition sur nos possibilités de communiquer. On n’a pas tout obtenu mais on a pu éclaircir certains sujets tabous : comment on communique, est-ce qu’on doit rendre public nos votes, comme celui de la FNSEA qui a refusé l’inscription du cancer de la prostate au titre des maladies professionnelles, etc Cela répond à votre question ?
Quels sont les autres sujets de friction dans cette commission ?
Je milite pour qu’on aille plus loin que la simple classification et qu’on s’attaque à la racine du problème, à savoir le type d’agriculture que l’on veut, la transition agricole et tout ce qui est promu dans le réseau des agricultures paysannes. Il faut d’abord faire prendre conscience de la nécessité de changer. Nous sommes tous des travailleurs indépendants et nous avons tous le pouvoir de mettre une partie de notre ferme en transition. C’est encore plus simple quand on est en conventionnel et qu’on a de grandes surfaces. Il ne s’agit pas d’expérimenter mais d’appliquer des itinéraires éprouvés par les Civam et les groupes paysans. On peut tous faire quelque chose, quels que soient notre opinion ou notre modèle.
Va-t-on vers des actions en justice comme on en a vu dans l’industrie ?
Nous le faisons déjà au sein du collectif de l’association de défense des victimes de pesticides, qui regroupe des salariés et des paysans. Depuis de nombreuses années, on va collectivement au tribunal des affaires sociales défendre ceux qui demandent une reconnaissance ou un taux d’incapacité à revoir, contre les organismes de protection sociale. A travers ces actions, on essaie d’influer sur l’écriture de la règlementation et sur le mécanisme de reconnaissance professionnelle. Et travailler aussi sur notre niveau de cotisation qui est insuffisant, car notre niveau de revenu est insuffisant. Cela rejoint des revendications structurelles sur notre modèle agricole.
On peut aussi imaginer de futurs procès entre riverains et agriculteurs, ou entre agriculteurs et prescripteurs d’itinéraires techniques ?
Il y a trois cas intéressants en ce moment : le collectif Chlordécone, en Guadeloupe et Martinique, s’est engagé dans une action contre l’Etat. Les terres arables et l’eau sont polluées, il y a des zones d’exclusion agricoles et maritimes mais pas de reconnaissance de l’état de maladie de la population. Ce collectif essaie de faire valoir en justice que le reste à vivre des populations locales est deux fois moindre que celui des métropolitains. L’autre exemple, c’est Amiens et la Somme, où le CHU a ouvert une consultation spécifique sur les cancers pédiatriques pour les enfants d’agriculteurs et de riverains. C’est une reconnaissance tacite du problème d’exposition à des produits liés aux cultures céréalières. Enfin, du côté de La Rochelle et en Charente, un groupe de médecins et de citoyens travaille sur le diméthoate, un insecticide utilisé en grandes cultures. Quelles sont les responsabilités des organisations sanitaires, des agents d’homologation, du ministère et de ceux qui demandent des dérogations pour continuer à utiliser des produits interdits ?
Et du côté des riverains ?
Une Coordination européenne des riverains est en train de se mettre en place. Les enfants qui habitent à côté des vignes par exemple, courent les mêmes risques qu’un technicien agricole qui n’utilise pas les produits mais visite les parcelles et à qui on reconnaît une maladie professionnelle pour son exposition à certains produits durant sa carrière. Les riverains sont presque dans la même situation... Si on révèle l’ensemble des coûts cachés des pesticides, c’est une véritable bombe...