C’est par courrier, que les éleveurs-gaveurs des Landes ont appris le changement des règles imposées par Delpeyrat pour l’abattage des canards sur le site historique de Gibret. Deux nouvelles dispositions inquiètent particulièrement : l’interdiction des tracteurs pour conduire les canards en cages à l’abattoir et surtout, la volonté de ne plus traiter des lots inférieurs à 400.
Ces changements, qui doivent intervenir à partir d’avril 2025, font suite à la fermeture de l’abattoir de Vic-Fezensac, annoncée par Delpeyrat il y a quelques mois et qui sera effective en mars 2025. Son activité va donc être transférée vers celui de Gibret qui amorce une restructuration pour réceptionner 1,8 million de canards supplémentaires et porter sa capacité à 4 millions chaque année.
« Beaucoup d’éleveurs indépendants, qui font de la vente directe ou qui ne sont pas reliés aux grandes structures, font abattre chaque semaine des lots de 150 à 200 canards », a rappelé l’élue Modef Maryline Beyris lors de la session Chambre du 30 septembre. « Par ailleurs, les délais annoncés sont un peu courts pour investir dans du matériel de transport, passer un permis poids-lourd ou créer une Cuma pour mutualiser ce matériel. Beaucoup d’éleveurs historiques, qui utilisent cet outil depuis des années, en seront donc exclus de fait », a poursuivi l’élue du Modef, elle-même éleveuse à Doazit. Ils seraient plus de 300 concernés.
Marche ou crève
A cette lourde inquiétude, Jean-Luc Capes, administrateur Maïsadour, a répondu que « tout le monde sera pris en compte mais que tout le monde devra aussi faire des efforts pour s’adapter à cette restructuration des outils de la filière, décidée au Conseil d’administration de Maïsadour face à la baisse de volumétrie ». En d’autres mots : « Marche ou crève. » Moins condescendant, le responsable de la commission avicole Jean-Pierre Dubroca n’avait cependant pas plus de solutions à proposer : « C’est une réorganisation du travail car le modèle a changé. Certains ont fait des choix individuels pour s’intégrer dans ce modèle, d’autres non. Il y a de moins en moins de producteurs en circuits courts, ils ont le droit d’exister et il faut trouver des solutions pour eux. »
Maryline Beyris a rappelé l’historique de cet outil, dédié à l’origine aux petits producteurs de Chalosse, et passé sous giron Delpeyrat-Maïsadour lors du rachat d’Excel Foie Gras en 2008 : « Beaucoup de petits apporteurs ont fait tourner cet outil pendant des années. Aujourd’hui la stratégie de Maïsadour les laisse sans solution. S’adapter, s’adapter, on l’entend depuis toujours. Mais les gaveurs qui ont des marchés de frais pour 150 canards par semaine ne vont pas en gaver 400. Là-dessus, ils ne pourront pas s’adapter. » Et l’éleveuse de Doazit de rappeler une réalité que certains ont tendance à oublier : « Ce n’est peut-être pas grand-chose en nombre de canards mais en nombre de fermes, c’est énorme. Le tissu agricole de la Chalosse dépend largement de ces petits ateliers de palmipèdes gras. On ne peut pas laisser tomber cette vie économique, que ce soit les petits producteurs mais également les petites structures qui en dépendent. On a su se mettre autour de la table pour sauver l’abattoir de Hagetmau avec les pouvoirs publics, on doit faire de même pour les producteurs de palmipèdes. »
La Chambre « prend note »
« On a bien pris note, a réagi Marie-Hélène Cazaubon. Il faudra réunir tout ce monde pour qu’ils se parlent mais la Chambre d’agriculture n’a pas vocation à intervenir dans la gestion d’outils privés. » Une manière d’abandonner les petits producteurs à leur sort, tout en les culpabilisant au passage : « Un abattoir, c’est aussi des normes sanitaires et des pratiques à respecter. »
« Mais elle a vocation à maintenir un tissu agricole dans les Landes, a rétorqué Maryline Beyris. Elle peut aussi servir d’intermédiaire dans les discussions ou mettre les acteurs publics et privés autour de la table pour imaginer des solutions. »
Un rôle que la majorité syndicale semble oublier dès lors qu’il ne s’agit pas de ses propres intérêts. Tout en répétant vouloir défendre tous les modèles...
Le Modef, de son côté, est allé rencontrer les dirigeants de Delpeyrat. « Ce que je peux faire, c’est vous engager à réfléchir aux solutions et nous, nous sommes à votre disposition », ont entendu nos représentants de la bouche du président Pierre Harambat le 27 septembre dernier. Un conseil salutaire ! Le 15 octobre, les représentants du Modef ont été reçus à leur demande à la DDCSPP pour imaginer une alternative pour les éleveurs laissés sur le carreau...
Lafitte grand "saigneur" !
Quasi simultanément avec Delpeyrat, la Maison Lafitte a fait savoir aux apporteurs de l’abattoir de Montaut qu’elle appliquerait un forfait de 150 euros par lot, quel que soit le nombre d’animaux du lot, ainsi qu’une augmentation des tarifs d’abattage, d’éviscération et découpe. Une manière de dire aux indépendants qu’on ne veut pas d’eux ici non plus. Pour ceux qui apportent des lots de 150 canards chaque semaine, cela représente 1 euro par canard et plus de 7 000 euros par an rien qu’en forfait ! Face au tollé, Lafitte a ramené son forfait à 120 euros. Grand "saigneur" !