Pierre Lebbe, serial méthaniseur

Pierre Lebbe.

Pierre Lebbe, serial méthaniseur

Pierre Lebbe, serial méthaniseur

A Villefranque (65), Pierre Lebbe fait le pari de la méthanisation paysanne depuis plus de vingt ans. Constructeur autodidacte de micro-méthaniseurs, il a partagé son expérience et son savoir-faire avec une délégation de l’Alpad le 21 mars dernier.

Génie incompris, inventeur fou ou plus simplement un passionné de fermentations ? Pierre Lebbe, cet éleveur-brasseur installé à Villefranque (65), est un savant mélange de tout cela.

Au confluent du Gers, des Landes et des Hautes-Pyrénées, il a développé une unité d’hygiénisation des fumiers et d’épuration du CO2. Depuis plus de vingt ans, en autodidacte, il construit des micro-méthaniseurs sur sa ferme. Difficile de compter le nombre de prototypes avant d’arriver à la version quasi définitive qu’il a présentée aux paysans de l’Alpad le 21 mars.

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Un cercle vertueux

Pierre en avait marre de sortir le fumier : « Il y avait toujours de la gadoue dans la cour », sourit-il. C’est pourquoi, dès les années 2000, il se lance dans la construction d’une unité pour hygiéniser ses fumiers. « Avoir du stockage permet de les épandre au bon moment et de se caler aux besoins des plantes, la réflexion agronomique s’est ajoutée aux autres choix techniques. » En effet, lors de son installation en chèvres laitières bio, les problèmes de qualité de litière ont rapidement eu des impacts négatifs sur les performances du troupeau. Sortir le fumier plus fréquemment, faire monter en température les graines d’adventices contenues dans les fumiers… C’est l’élevage qui a orienté Pierre vers la méthanisation. Avec la création de l’activité brassicole, les drêches d’orge produites sur la ferme sont autoconsommées par le troupeau. Le fumier sert à la production de gaz pour le brassage de la bière (70 hl) et à la fertilisation de la culture d’orge. La boucle est bouclée. Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme, comme disait Lavoisier.

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Fonctionnement

La méthanisation étant un process relativement technique, le choix a été de volontairement simplifier le process et la description des outils.

Le principe de sa méthanisation est de fonctionner en fermentation anaérobie en immersion totale. C’est le procédé Ducellier-Isman, du nom des deux enseignants de l’École nationale d’agriculture d’Alger qui l’ont popularisé avec la cuisinière « Gazelle » dans les années 30. On comptait alors plus de 1 500 unités de ce type en France.

Aujourd’hui, son système se compose de deux silos en béton isolés couverts par une bâche EPDM. Ces silos mesurent 4 m par 9,30 m et 2,70 m de haut, les parois font 30 cm d’épaisseur.

Le chargement du digesteur se fait avec le tracteur de la ferme équipé d’une fourche frontale. À l’entrée du couloir, le sol est plat, facilitant l’entrée du tracteur. La porte étanche est placée à l’aide du tracteur et la fin du chargement se fait par-dessus la porte. S’ensuit une préfermentation aérobie, boostée en soufflant de l’air par le caniveau. Ainsi au bout de deux à trois jours, le fumier est à 60°C. Alors qu’au chargement il dépassait les murs, le tas a déjà diminué. Le couvercle peut être baissé. Comme le couvercle d’un piano, sa structure en charpente bois maintiendra le fumier en immersion. Les 17 cm d’isolant conserveront la température et la bâche en EPDM fera l’étanchéité au gaz. Sur la porte, le joint en note de musique assure l’étanchéité à l’eau.

Ce sont des eaux blanches ainsi que le lactosérum tiédi qui immergent complètement le fumier et vont s’imprégner d’azote ammoniacal.  Ces eaux, devenues noires, fertiliseront les champs.

La production de biogaz est immédiate, bien que très pauvre en méthane la première semaine. Pour cette raison, Pierre juge l’épuration du biogaz incontournable. Il a construit une machine utilisant la loi de Henry, bien connue en plongée sous-marine. En effet, la dissolution du gaz carbonique dans l’eau est 25 fois meilleure que celle du méthane. Elle dépend de la température basse de l’eau et de sa pression. Après lavage du gaz, l’eau pressurisée est dégazée sous vide, ce qui permet de récupérer le CO2 d’une part, mais surtout de conférer à l’eau une meilleure aptitude à dissoudre le CO2 dans son prochain cycle.

En 2023, un étudiant de l’Insa de Toulouse a vanté les mérites de cette technique dans sa thèse, en concluant que le dégazage sous vide est la seule méthode permettant d’atteindre des taux de méthane élevés par lavage à l’eau. C’est souvent sur une ferme que naissent les idées qui ont du sens...

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Des usages variés

Les deux gaz produits sur la ferme peuvent être utilisés de différentes manières. Ainsi, Pierre utilise le méthane pour le brassage de la bière, pour un usage domestique, pour faire rouler deux véhicules légers et prochainement un tracteur. Il produit de l’électricité en utilisant un moteur permettant de réaliser de la cogénération. Pour lui, le méthane pourrait aussi être utilisé pour faire fonctionner des pompes d’irrigation.

Quant au CO2, là aussi, les utilisations sont multiples. Sur une ferme, il pourrait être utilisé pour lutter contre les insectes lors du stockage des céréales, pour enrichir l’atmosphère d’une serre et ainsi augmenter les rendements ou la précocité des cultures, traiter l’eau d’abreuvement et faciliter la digestion ou en pulvérisation pour protéger les plantes… Il pourrait aussi être utilisé pour l’alimentation humaine (propulseur pour la bière) ou revendu à des industriels, mais les contraintes administratives sont des obstacles pour une exploitation agricole.

 

Quelle rentabilité ? 

« Ces digesteurs, c’est devenu ma passion ! » Comme tout bon passionné, Pierre ne compte pas. Il a investi plusieurs dizaines de milliers d’euros dans la fabrication de cette unité, sans aides, bien évidemment. Il estime qu’avec 100 000 euros et 4 digesteurs, il pourra produire l’équivalent de 20 000 litres de fioul par an. Récupérant à droite et à gauche des pièces sur les sites d’occasion, il continue la recherche et le développement pour améliorer son système. A la retraite, il souhaite maintenant transmettre son message et faire émerger des projets sur d’autres fermes. Car il le reconnait : « Ne faites pas ce que je fais. Il faut un collectif ! »

La lourdeur administrative et le poids des lobbys n’encouragent pas le développement de telles initiatives. Pourtant, maraîchers ou éleveurs pourraient tous produire du gaz et l’utiliser au plus près des usages, limitant le transport et le conditionnement. D’autre part, la conservation de l’azote sous la forme d’ammonium (NH4+) dans le digestat liquide, permettrait de réduire notre dépendance aux intrants fossiles et limiteraient les pollutions aux ions nitrates. Consommer local, ça marche aussi pour l’énergie !

 

Article rédigé par l’Alpad dans le cadre de programmes d’actions financés par la Région Nouvelle-Aquitaine et l’Europe (Feader).