Ce n'est plus tout à fait les Landes mais pas encore le Béarn. Sur cette ligne de crête, grignotée au Nord par le Luy de France et au Sud par le Luy de Béarn, le clocher de Castelner n'a jamais paru aussi esseulé qu'en ce petit matin d'hiver. Dans la ferme Balié qu'il n'a jamais quittée, en contrebas du village, Michel Gachie vit paisiblement entouré d'un aréopage de chats et d'une poule égarée, qui semble se prendre pour l'un d'eux. Il ne reste plus que deux brebis dans la grange voiasine, qui en compta plus d'une centaine au plus fort de l'activité de la ferme. Celles-là, les deux dernières, Michel les a élevées au biberon : "Les bêtes sont toutes différentes, comme les humains, attaque-t-il. Si on ne les aime pas, il ne faut pas faire ce métier. J'ai parfois eu le sentiment d'être l'esclave de mon troupeau. C'est une passion magnifique et destructrice à la fois."
Né le 28 février 1950 "dans la pièce à côté", Michel Gachie a bien failli "y passer" à l'âge de 4 ans, quand il a chuté dans l'âtre de la maison familiale. Après des semaines de souffrance et d'angoisse, "je me suis sauvé", insiste-t-il. Il garde de cet épisode une peur incurable du noir et une forme d'hypersensibilité qu'il peine à définir. Un "truc" qui se loge là, quelque part sous l'immuable casquette, et qui lui fait ressentir le monde et ceux qui le peuplent avec un excès d'acuité, de souffrance parfois. Un "pégot", diront certains au village. "J'ai toujours marché à l'ombre, j'aime les hommes gris. Mais attention, je suis sociable. Je peux même être con !"
Un monde qui change
Avec Michel Gachie, l'éclat de rire n'est jamais loin de la pensée poétique ou philosophique. C'est ce qui donne toute la saveur de ses ouvrages. On y retrouve la truculence de la langue gasconne, qu'il pratique assidûment, le bon sens paysan qui n'est rien d'autre que le sens de l'observation ; la bienveillance et la gratitude, que l'on appelait simplement du savoir-vivre il y a peu de temps encore. "Les gens ont changé, constate-t-il. La conscience et l'honnêteté sont devenus des gros mots. Et puis les réseaux sociaux nous ont mis la tête dans l'entonnoir. C'est un grand malheur. Si on ne relativise pas un peu, on ne peut pas vivre bien vieux."
Du haut de son coteau de Chalosse, Michel Gachie a assisté à la transformation du monde agricole : le Vendeuvre de 16 chevaux qui a remplacé l'attelage à la fin des années 50, l'arrivée de la TVA en 1968, le boom du canard dans les années 80, époque où il est lui-même devenu accouveur sur les conseils de son frère, l'abus des "produits" qui a rendu l'agriculture, hier si vertueuse, nuisible pour les êtres humains et l’environnement. Il se souvient aussi des conseils municipaux "en gascon, avec la bouteille de blanc sur la table", où il a appris pendant 24 ans à comprendre "comment pensent les autres"... Il a vu les sourires des pelères et des desperouquères s'effacer peu à peu pour laisser place à une morosité latente : "J'ai vu d'honnêtes gens qui n'y arrivaient plus", souffle-t-il.
Un profond humanisme
Des personnages, des anecdotes, des secrets d'éleveur et de chasseur, Michel en a amassé des quintaux au cours des dernières décennies. Alors quand Arnaud, son neveu qui a repris la ferme, lui a demandé comment c'était "avant", Michel a commencé à écrire. Son premier ouvrage, "La vie à Castelner dans les années 50", raconte cette existence au fil des saisons, la manière dont les cycles de la nature gouvernaient les hommes et les femmes et comment, par la solidarité et au prix de nombreux efforts, ils parvenaient ensemble à tirer de la terre les moyens de leur subsistance.
Son second ouvrage, "Martin, dernier berger à Castelner", nous plonge dans la vie de l'éleveur, à cette époque où les fermes familiales ne pouvaient pas se passer du bétail. Comment les brebis, bien adaptées aux pentes argileuses de Chalosse, dessinaient les paysages et sculptaient les bosquets, comment il fallait aussi bien savoir donner la vie que l'ôter, ce rapport ambigü entre l'homme et l'animal que la modernité a fini par rendre invisible pour une partie de la population et insupportable pour une autre. "Les vrais écolos, ils sont souvent au jardin", balaye-t-il. Enfin dans "Un monde sans visages", très différent des deux premiers ouvrages, Michel Gachie a rassemblé ses notes, prises au jour le jour durant l'épidémie de Covid. Une chronique des événements parsemée de réflexions personnelles qui laissent transparaître, derrière la sidération du moment, un profond humanisme.
"A présent, j'aimerais écrire des nouvelles, assure Michel Gachie. Faire marcher mon imagination, jouer un personnage, créer du mystère, c'est cela qui m'intéresse. Je sais bien que je ne gagnerai jamais d'argent avec les livres, mais savoir que certains prennent le temps de les lire, c'est déjà une belle récompense."
"La vie à Castelner dans les années 50", France Libris, 2019.
"Martin, dernier berger à Castelner", Publishroom, 2020.
"Un Monde sans visage", Publishroom, 2021.
Publié le 3 mars dans Les Infos Agricoles par Sylvain Lapique. Tous droits réservés.