Le chemin qui mène à la paysannerie est parfois tortueux. Pour Jean-Yves Rouleau, 38 ans, il a fallu passer par l'animation sociale et culturelle pendant quelques années, puis voyager de par le monde, avant de s'ancrer dans la terre. "Mais j'ai toujours voulu être paysan, affirme-t-il. Que ce soit du cochon, des légumes, peu m'importait, tant que je pouvais travailler avec mes mains et redonner du sens à ce que je consommais."
A 29 ans, il a donc changé de vie pour passer son BPREA à Montardon avec déjà, dans un coin de la tête, l'idée de produire sa bière. "J'ai découvert ce monde-là lorsque j'habitais à Toulouse. Une cave à bière à côté de chez moi organisait des ateliers de brassage le samedi matin. Puis j'ai emprunté à ma grand-mère les bassines qui lui servaient à faire le canard et j'ai commencé à brasser chez moi."
Après s'être fait la main dans le maraîchage, avec le soutien de la couveuse Graines aux alentours de Pau, Jean-Yves a lancé sa brasserie en 2019, d'abord à Bournos, entre Thèze et Pau. Il la baptiste La Ruze, du nom du lieu-dit où il projetait ses premiers rêves paysans, dans le quartier de Subéhargues à Aire-sur-l'Adour, sa ville d'origine. "J'ai fait une toute petite production la première année puis c'est monté en volume en 2020 et avec le Covid, les ventes ont explosé. Aujourd'hui j'ai atteint un rythme de croisière. je réalise en moyenne 30 à 50 000 euros de chiffre d'affaires annuel depuis le lancement. Même si j'ai des coûts de fabrication importants, je n'ai pas l'impression d'être esclave de mon métier. J'arrive à investir dans du matériel et à me projeter."
Germination et fermentation
Fin 2022, il a trouvé l'endroit dont il rêvait pour asseoir son projet : une ferme tout au bout d'un chemin caillouteux, sur les hauteurs de Mialos, 137 habitants, en surplomb de la vallée du Luy de France, avec deux hectares en fermage. C'est là qu'il a installé sa brasserie et compte vivre avec sa femme Charlène et leur fils Charly, de deux ans et demi. Ses orges, indispensables à la fabrication de la bière, il les cultive en bio du côté d'Argelos, près de Thèze, sur des terres mises à disposition. "Je fais 4 à 5 hectares de Calypso et d'Amistar, deux variétés d'orge d'hiver assez rustiques qui s'adaptent très bien au climat du Béarn. Je sème en octobre-novembre et je récolte à l'été." Ensuite il faut trier, éliminer les impuretés et les plus petits grains, et respecter un temps de dormance avant d'envoyer la récolte chez un malteur. Jean-Yves a choisi de travailler avec Laurent Coursières, un artisan installé à la Malterie du Vieux Silo, à la Sauzière-Saint-Jean entre Montauban et Gaillac. Les grains d'orge sont mis à tremper pour lancer le processus de germination qui est aussitôt stoppé par séchage. Vient ensuite le touraillage, c'est-à-dire la chauffe du malt pour lui donner sa couleur et libérer ses arômes, voire la torréfaction qui permet d'obtenir des malts plus bruns.
Le malt revient alors à Mialos, chez Jean-Yves, qui assure la suite du processus : "Pour faire simple, les malts sont plongés dans une eau entre 63 et 66 degrés, afin de simplifier l'amidon en maltose, un sucre fermentescible. Puis on ajoute de l'eau et des houblons, qui vont donner les touches arômatiques ou amérisantes tout en favorisant la conservation. Une fois bouilli puis refroidi, le mélange est mis en cuve et ensemencé avec une levure qui transforme le sucre en alcool.
Démarche paysanne
C'est durant ces étapes que le brasseur exprime tout son savoir-faire : le dosage des malts d'orge et éventuellement de blé, l'apport des houblons, le degré de fermentation, l'ajout d'épices ou de miel pour les bières d'hiver… Jean-Yves produit ainsi une demi-douzaine de bières : une Pale Ale version béarnaise, une stout puissante, une rousse ambrée à l'accent irlandais, une blonde et une bière d'hiver. Il commercialise l'ensemble de sa production, soit 90 à 100 hectolitres par an, en circuits courts ou directs, via des Amap, magasins de producteurs, chez des restaurateurs ou à la ferme. "De plus en plus d'associations et de comités des fêtes me prennent des fûts et des tireuses pour leurs événements", apprécie Jean-Yves, qui a également fait une série spéciale pour la Confédération paysanne, à laquelle il adhère.
Prochaine étape pour le paysan-brasseur : créer un lieu d'accueil autour de sa brasserie et implanter une houblonière pour aller plus loin dans sa logique d'autonomie : "Beaucoup de brasseurs se disent artisans mais dans leur bière, il n'y a que l'eau qui est locale. Pour moi, la dimension agricole est très importante. J'aime comparer cela à la démarche des paysans-boulangers." Et l'ancien animateur culturel de se prendre à rêver : "Pourquoi pas créer une ferme ouverte, organiser des concerts et des animations de temps en temps, élever quelques cochons et servir des assiettes de charcuterie en même temps que nos bières…" En regardant le soleil décliner sur la vallée du Luy, on se dit qu'on reprendrait bien une tournée.
La Ruze
Camin Bellevue, 64 383 Mialos
06 77 12 61 45
Bières en vente directe à la ferme, dans les Amap d'Amou, Misson, Lons, Serres-Castets, Pau ; dans les magasins Lutscrampo à Aire, Biotinel à Saint-Paul, So.Bio à Dax, Biocoop à Oloron ; au bar Chez Léonie à Eugénie-les-Bains, au restaurant Les Pipelettes à Pau ou au Lutrin Gourmand à Morlanne.
Publié le 9 juin 2023 dans Les Infos Agricoles par Sylvain Lapique. Tous droits réservés.